Extinction des feux
Aujourd’hui, j’ai 100 ans.
C’est un jour très particulier car, à présent, je suis indépendante. Plus de parents sur le dos pour me dire de nettoyer ma bulle de confinement ou surveiller le moindre de mes mouvements. Je suis une adulte à présent. Finis les vieux professeurs rabougris et rébarbatifs. Ma formation est complète et je vais enfin pouvoir passer à la pratique. J’ai eu mon diplôme avec mention. Le terrain, j’en rêve !
À partir d’aujourd’hui je vais enfin pouvoir approcher ces étranges créatures qui vivent sur la Planète Bleue, tout en bas. On nous a parlé de créatures poilues à quatre pattes, de créatures volantes, et d’autres, qui vivent sous l’eau. Mais, étant major de ma promotion, j’ai choisi la plus fascinante de toutes : l’être humain. Dès aujourd’hui, j’intègre la brigade de sauvegarde de cette espèce étrange.
Tout d’abord, contrairement à nous, ce sont des êtres matériels. Leur conscience est enfermée dans une sorte de coquille fragile, pas très adaptée à la vie à mon goût car toujours maintenue dans un équilibre précaire qui peut se rompre à tout moment. De plus, elle ne leur permet pas une grande liberté. Traverser les objets, circuler dans les airs, se fondre dans le Grand Flux de l’Énergie Universelle, être partout à la fois et dans chaque chose, communiquer par la communion des esprits, tout ceci leur est inconnu.
Certains, plus éveillés que d’autres, parviennent parfois à s’élever jusqu’à nous par la méditation, mais c’est un phénomène bien rare de nos jours. Beaucoup méditent mais ne s’élèvent pas plus haut que le bout de leur nez.
Eh oui... Si nous avons créé une brigade dédiée aux humains, nous, les créatures du Flux Cosmique Universel, les Gardiens de l’Équilibre, c’est parce que l’espèce est en voie d’extinction. Ils ne le savent pas encore, ou refusent de voir la réalité, mais ils sont bel et bien sur le déclin. Et nous sommes là pour redresser la barre, les remettre sur le droit chemin.
Les règles sont simples. Éveiller leur conscience. Oui, elles sont très simples… en théorie. Mais tellement compliquées à mettre en œuvre ! C’est pour cela que l’on choisit des Êtres de Lumière comme moi, les meilleurs des meilleurs, la crème de la crème.
Car pour les autres créatures de la Planète Bleue, pas besoin de compétences particulières. La régulation se fait d’elle-même. Ils vivent en harmonie avec elle, s’adaptant au lieu de chercher à l’adapter, elle, par la contrainte.
Tandis que l’humain, lui, se comporte comme s’il était le Maître du Monde, de l’Univers, même. Il décime les autres espèces et la sienne aussi d’ailleurs. Il détruit sa mère nourricière, l’étouffe, la force à donner tout ce qu’elle a par des procédés mortels. Aucun respect, aucune reconnaissance vis-à-vis de celle qui lui a donné la vie. C’est un enfant capricieux qui a tout et qui en veut toujours plus. Il se comporte tel un virus destructeur qui se répand inexorablement, semant la mort sur son passage, sa propre mort et celle des autres.
Alors nous sommes là. Avant, nous ne faisions qu’observer mais les choses sont devenues trop graves pour laisser faire. Nous sommes obligés d’agir. Et pour ce faire il nous faut descendre sur la Planète Bleue et nous infiltrer. Plusieurs d’entre nous sont déjà là depuis longtemps. L’un d’eux est un grand Maître d’une religion appelée Bouddhisme ; un autre, un petit chef indien d’Amazonie avec un drôle de plateau dans la lèvre ; un autre enfin, est un pirate des temps moderne, chef d’une flotte de bateaux qui défend les océans. Nous sommes peu, mais nous sommes partout. Et demain, c’est mon tour. Je descends sur Terre.
On met la touche finale à mon costume solide. Deux longues tresses, des oreilles de lutins, un visage angélique. Je serai une jeune fille de 16 ans. Ma mission sera de faire s’élever la jeunesse humaine contre l’horreur destructrice d’un système archaïque.
Je me concentre sur le flux de données d’identification de mon avatar pour en mémoriser le contenu.
Mon nom est Greta, Greta Thunberg.
Stéphanie Marie 16 décembre 2019